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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/80

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ils sont odieux à tout le monde, ils sont colères tant qu’ils jouissent du pouvoir : quand ils l’ont perdu, ils deviennent humbles, doux, et sont ramenés à l’étude, de leur propre nature. C’est ce que David nous enseigne, quand il dit : « L’orgueil les a dominés jusqu’à la fin ; leur iniquité est comme le résultat de leur embonpoint ». J’ai dit tout cela afin que nous ne cherchions pas la joie à tout prix. Mais, demandez-vous, pourquoi Paul dit-il : « Réjouissez-vous toujours ? » Il n’a pas dit simplement : « Réjouissez-vous » ; mais il a ajouté : « Dans le Seigneur ».
4. Et voilà la plus grande joie, celle que goûtaient les apôtres, la joie profitable, qui a son principe, sa racine, sa matière dans les prisons, dans la flagellation, dans les persécutions, ce qui lui donne un résultat avantageux. Toute autre est la joie du monde : elle commence par le plaisir, elle finit par la tristesse. Je ne défends pas de se réjouir dans le Seigneur ; j’y exhorte beaucoup au contraire. Les apôtres étaient flagellés, et ils se réjouissaient ; ils étaient chargés de chaînes, et ils rendaient grâces ; ils étaient lapidés, et ils prêchaient. Voilà la joie que je veux ; celle qui ne procède point de la chair, mais de l’esprit. On ne peut se réjouir à la fois selon le monde et selon Dieu ; car quiconque se réjouit selon le monde se réjouit de la richesse, de la volupté, de la gloire, de la puissance, du faste ; mais celui qui se réjouit selon Dieu, se réjouit d’être méprisé pour lui, de la pauvreté, du délaissement, du jeûne, de l’humilité. Ce sont, vous le voyez, des motifs tout opposés. Ici tous ceux qui sont sans joie sont sans chagrin, et ceux qui sont sans chagrin sont sans joie. Et en réalité voilà ce qui fait le véritable bonheur ; car, du côté du monde, il n’y en a que le nom de bonheur, puisque tout est dans la tristesse. Quelle n’est pas la tristesse de l’orgueilleux ? Combien son arrogance ne lui coûte-t-elle pas ! Il s’attire mille injures, une grande haine, beaucoup d’inimitié, de jalousie, d’envie. S’il est injurié par de plus puissants que lui, il s’en afflige ; s’il ne tient pas tête à tout le monde, il est déchiré. Mais l’homme humble, au contraire, jouit d’une grande félicité ; il n’attend d’honneurs d’aucun côté ; s’il en reçoit, il s’en réjouit ; s’il n’en reçoit point, il ne s’attriste pas, il se félicite plutôt. Ainsi il y a une grande volupté à recevoir des honneurs sans les rechercher. L’homme du monde, au contraire, cherche à être honoré et ne l’est pas. Mais l’honneur ne procure pas le même plaisir à celui qui le recherche et à celui qui ne le recherche pas. Le premier ne croit jamais en avoir assez, tant qu’il en puisse avoir ; si peu que le second en reçoive, il est aussi content que s’il avait tout. De plus l’homme qui vit dans les délices a mille affaires, bien que ses revenus arrivent facilement et coulent comme de source ; il craint les maux qui naissent de la volupté, et les incertitudes de l’avenir ; l’autre est toujours tranquille, toujours joyeux, parce qu’il est habitué au régime de la médiocrité. Il ne se croit pas malheureux parce qu’il n’a pas une table splendide, mais il jouit de n’avoir point à redouter un avenir incertain. Quant aux maux qui naissent d’une vie de délices, chacun les connaît, mais il est nécessaire d’en dire un mot. Il y a deux guerres, celle du corps et celle de l’âme ; il y a deux tempêtes, deux maladies, et de plus, ces maladies sont incurables et entraînent de grandes calamités. Il n’en est pas de même de la frugalité ; elle procure une double santé, des avantages doubles. « Un sommeil sain », dit le Sage, « est le partage de l’estomac sobre ». (Sir. 31,24) En toute chose la médiocrité est désirable, et le défaut de modération a des inconvénients. Et voyez jetez sur un petit charbon une grande quantité de bois, vous n’aurez pas une flamme brillante, mais une fumée extrêmement désagréable.
Chargez un homme grand et fort d’un fardeau qui dépasse ses forces, vous le verrez tomber à terre avec sa charge. Mettez sur un navire une cargaison trop lourde, vous ferez un misérable naufrage. Il en est ainsi d’une vie de délices ; car de même que dans les vaisseaux surchargés il y a un grand tumulte, quand les matelots, le pilote, le timonier, les passagers, jettent à la mer ce qui est sur le pont et ce qui est, à fond de cale ; ainsi le voluptueux rejette tout, se corrompt lui-même et périt[1]. Et ce qu’il y a de plus honteux, c’est que le rôle des organes est interverti, que la bouche est assimilée aux parties les moins nobles et se trouve plus, déshonorée qu’elles ; que si la bouche est ainsi dégradée, que sera-ce de l’âme ? Là tout est obscurité, tempête,

  1. Il serait difficile de rendre littéralement cette phrase et la suivante, sans blesser la délicatesse de notre langue.