Page:Joseph Louis de Lagrange - Œuvres, Tome 14.djvu/142

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La Géométrie vient de faire de grandes pertes, par la mort de MM. Euler, d’Alembert et Bézout. Je regrette infiniment ce dernier auquel j’étais fort attaché, et qui a rendu un grand service à l’Analyse par son dernier Ouvrage sur la théorie de l’élimination[1]. Vous lui avez témoigné toute la satisfaction que la lecture de cet Ouvrage vous avait causée ; et j’ai été témoin du plaisir que lui fit la lettre obligeante que vous lui écrivîtes à ce sujet. Il avait pour vous toute l’estime qui vous est due, et votre suffrage le consolait des injustices que quelques personnes, fort estimables d’ailleurs, n’ont cessé de lui faire. C’était un homme d’un caractère doux, paisible et fort obligeant. Il est généralement regretté dans les deux corps de l’Artillerie et de la Marine, dont il était examinateur, et pour lesquels il a fait d’excellents éléments de Mathématiques. Je lui succède comme examinateur de l’Artillerie, ce qui augmente ma fortune, qui jusque-là avait été très bornée ; mais ce qui me fait un grand plaisir, c’est que les fonctions de cette place ne m’occupent que trois semaines ou un mois tout au plus, dans l’année.

M. l’abbé Haüy, de l’Académie des Sciences, me prie de vous faire parvenir l’exemplaire ci-joint de son Ouvrage sur la cristallisation[2]. J’ai lieu de croire que vous en serez content, si vous avez le loisir de le parcourir. Il renferme une application intéressante des Mathématiques à la nature, et l’on ne peut trop désirer que le domaine de la Géométrie s’étende. C’est dans cette vue que je me suis un peu livré à la Physique, et je ne désespère pas de déterminer quelques nouveaux objets physiques, assez bien pour y appliquer l’Analyse.

Adieu, mon très cher et très illustre Confrère, vous connaissez les vifs sentiments d’estime et d’amitié dont je suis pénétré pour vous, et avec lesquels je suis pour la vie, monsieur et très illustre Confrère,

Votre très humble et très obéissant serviteur,
Laplace.
  1. Théorie générale des équations algébriques. in-4o, 1779.
  2. Essai d’une théorie sur la structure des cristaux. in-8o, 1784. L’abbé René-Just Haüy, célèbre minéralogiste, membre de l’Académie des Sciences, puis de l’Institut, né à Saint-Just (Oise), le 28 février mort à Paris, le 3 juin 1822.