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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Celui-ci a volé ; celui-là a gagné la triple étoile en prostituant sa femme à un plus grand chef[1]. — Et l’autre a honte de sa simplicité. L’âpre amour du gain, qui tourmente tout fils de la terre avare, un instant endormi, se réveille en lui. De quoi s’agit-il, après tout ? Ils ont travaillé ensemble à ce redoutable bureau de l’espionnage officiel : quelle misère ! Les vrais traîtres, ce sont ces gouvernants, imbéciles et lâches, « non pas ceux qui livrent des documents quelconques et qui ne peuvent influer en rien sur les destinées de batailles problématiques et de combats qui ne seront jamais livrés, dans des guerres qui n’auront jamais lieu, puisque la France ne fera plus jamais la guerre[2] » !

Ainsi, on peut imaginer la scène ; mais, de ses deux acteurs, l’un a emporté dans la tombe son secret, l’autre ment comme il respire.

Dès lors, le mot de l’énigme reste enveloppé de nuages. Par moment, il s’illumine comme tant d’autres vérités, dans la lueur d’un éclair. On aperçoit alors, la main dans la main, Esterhazy et Henry. Puis le rideau d’ombre se referme. Et l’histoire n’a plus devant elle qu’une longue série de crimes, mais qui, cependant, ont une cause.

  1. Dans diverses lettres que j’ai sous les yeux, Esterhazy raconte ces histoires, donne les noms.
  2. Dép. à Londres, Éd. de Paris, 81 : « Ainsi que je l’écrivais à Waldeck, les vrais traîtres… », etc. — Remarquez, dans ce passage, la conscience qui éclate, l’aveu involontaire, le raisonnement subtil qui veut faire taire le remords.