Page:Journal asiatique, série 1, tome 5.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tchang répétait avec une joie féroce : Quel bonheur ! quel bonheur ! dans un an, à pareil jour, je prierai ma vieille de t’aller rejoindre ; quel joli couple vous ferez là-bas ! En achevant ces mots ; il lui enfonce sa hache dans les reins, laisse son faisceau de bois, dont il se souciait fort peu, et court vite comme l’éclair à son bateau. Madame Tan, voyant Tchang revenir seul, lui demanda avec vivacité où était son mari. Hélas ! Madame, répondit le batelier, quel malheur j’ai à vous apprendre ! nous avons rencontré la bête féroce, elle s’est jetée sur votre infortuné mari, et l’a emporté ; moi-même, sans la légèreté de mes pieds, je n’aurais pu échapper à sa fureur ; pour preuve, je n’ai pas osé emporter le bois que j’avais coupé. À cette nouvelle, madame Tan se frappe la poitrine, et pousse de profonds soupirs. Tchang, cherchant à l’apaiser, lui dit : Si votre mari est devenu la proie d’un léopard, c’est que le destin l’avait ainsi ordonné ; que servent les pleurs et les sanglots ? Madame Tan, les yeux baignés de larmes, se dit à elle-même : J’ai bien entendu dire que les léopards sortaient la nuit de leurs cavernes ; mais je ne croîs pas qu’ils se montrent en plein jour pour dévorer le monde, surtout quand deux hommes marchent ensemble, et se prêtent un mutuel secours. N’est-il pas bien surprenant que le monstre ait choisi mon mari pour sa victime, et laissé l’autre sans la moindre égratignure ? Alors elle dit à Tchang : Quand même mon mari aurait été emporté par le léopard, j’espère qu’il aura pu se dégager de ses ongles redoutables, et qu’il respire encore. Tchang