Page:Journal asiatique, série 1, tome 5.djvu/94

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lui dit : On ne peut ôter à un faible chat les mets qu’il dérobe, et vous voudriez arracher la proie d’un léopard. Madame Tan répondit : Quoi qu’il en soit, je n’ai pas vu de mes propres yeux ce que vous racontez, et quand il serait vrai qu’un léopard a dévoré mon époux, il doit avoir laissé quelques ossemens ; conduisez-moi, je vous prie, sur les lieux, afin que je recueille ces précieux restes, et que, revenue chez moi, je rende à M. Weï les derniers devoirs qu’il peut attendre d’une fidèle épouse. Tchang lui dit : Maintenant je crains le léopard, et je n’ose aller m’exposer à sa fureur. Comme madame Tan poussait des cris perçans, et s’abandonnait à tous les transports de sa douleur, Tchang se dit en lui-même : Si je refuse de la conduire sur la montagne ; ce sera lui donner un juste motif de soupçonner mon crime. Alors il lui dit : Madame, ne pleurez pas ; je vais vous servir de guide. Tout à coup madame Tan s’élance sur le rivage, et, accompagnée du batelier, se dirige à pas précipités vers la montagne. Comme c’était à l’orient de la montagne qu’il avait coupé du bois, Tchang, craignant que madame Tan ne vit le corps sanglant de son époux, il la conduisit du côté de l’occident. À chaque pas, madame Tan, pleurait et poussait des sanglots. Ils avaient déjà fait bien du chemin sans apercevoir aucune trace de léopard. Tchang montrait du doigt l’orient, tandis qu’il parlait de l’occident ; tant son espoir était que madame Tan, lasse de marcher aussi long-tems, songerait enfin à s’en retourner. Mais cette femme sensible et courageuse était forte-