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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


apprennent par eux-mêmes et sans le secours d’aucun instrument le plus de choses qu’il se pourra. Il pense même qu’il ne serait pas impossible qu’ils apprissent d’eux-mêmes à écrire, et il en propose un exemple ingénieux. Plus on emploiera dans l’éducation de moyens artificiels, moins l’homme sera ensuite capable de se servir de ceux que la nature lui a donnés 1[1]. C’est ainsi encore qu’il veut que les enfants soient exercés à mesurer l’étendue avec la seule vue, et non avec un cordeau ; à déterminer l’heure du jour en consultant la position du soleil, et non une montre ; à s’orienter dans une forêt à l’aide du soleil ou des étoiles et non d’une boussole, etc. Ils apprendront de même à nager. Franklin, qui s’étonnait que chacun n’apprît pas une chose si agréable et si utile, indique pour cela un moyen fort simple, que Kant lui emprunte. En tout on doit faire en sorte que les enfants apprennent à bien connaître leurs forces et à en tirer tout l’usage possible.

Il faut aussi, en vue de ce but, les soumettre à certains exercices qui effrayent beaucoup de gens, mais qui ne sont, pour ainsi dire, qu’un jeu, quand on en a contracté l’habitude dès l’enfance 2[2]. Qu’on les accoutume, par exemple, à traverser des passages étroits, à gravir des hauteurs escarpées, à marcher sur un plancher vacillant. « Quand un homme, dit Kant, ne peut faire cela, il n’est pas complètement ce qu’il pourrait être. » Aussi félicite-t-il le Philantropinon de Dessau d’avoir donné l’exemple des essais de ce genre. Il ne croit pas cependant qu’il soit bon de vouloir accoutumer les enfants à tout ; ce serait beaucoup trop risquer. Sur ce point, tout en exigeant de l’éducation une certaine dureté, mais celle seulement qui consiste à proscrire la mollesse, il ne va pas tout à fait aussi loin que Rousseau. Ainsi il blâme ceux qui veulent que les enfants puissent dormir et se lever à toute heure, manger à volonté, supporter de grandes chaleurs, de mauvaises odeurs, tous les bruits, etc. Tout cela n’est, selon lui, ni conforme à la nature ni nécessaire ; le tout est que les enfants ne contractant aucune habitude.

« Il y a, dit Rousseau, un excès de rigueur et un excès d’indulgence ; » et, quoiqu’il n’ait peut-être pas toujours bien

  1. 1 P. 209 et 213.
  2. 2 P. 214.