Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xcvi
ANALYSE CRITIQUE


su tenir le milieu entre les deux, il recommande de les éviter tous deux également. A cet égard encore, Kant est un excellent guide. « Bien des parents, dit-il, refusent tout à leurs enfants, afin d’exercer ainsi leur patience, et ils en exigent d’eux plus qu’ils n’en ont eux-mêmes. Cela est cruel 1[1]. » D’un autre côté il faut se garder de céder à tous leurs caprices : on en fait ainsi de petits despotes, insupportables au x autres et à charge à eux-mêmes. Cette dépravation commence ordinairement dès la plus tendre enfance : dès qu’un enfant crie, on cherche à l’apaiser par tous les moyens, et on lui apprend ainsi qu’il n’a qu’à crier pour obtenir tout ce qu’il veut. On s’imagine qu’on pourra aisément réparer le mal aussitôt qu’on le voudra ; mais l’enfant, accoutumé à tout voir céder à ses cris, entre dans des transports de rage, quand une fois il rencontre une résistance inusitée ; et, pour parvenir à briser sa volonté, comme on dit alors, on est forcé de recourir aux plus dures punitions. Mieux eût valu ne pas commencer par le gâter. Ne cédez donc jamais aux cris des enfants : c’est là une règle à laquelle Kant, comme Rousseau, attache la plus grande importance ; aussi y revient-il à chaque instant 2[2]. Mais il reconnaît qu’il est bon parfois de céder à leurs prières, lorsqu’on n’a pas quelque forte raison pour agir autrement : ils en deviennent plus doux. Seulement quand une fois vous avez jugé à propos de leur refuser quelque chose, leurs prières, pas plus que leurs cris, ne doivent vous faire revenir sur votre décision. « Tout refus doit être irrévocable ; c’est un moyen infaillible de n’avoir pas besoin de refuser souvent 3[3]. » Rousseau avait dit cela beaucoup mieux : « Que tous vos refus soient irrévocables ; qu’aucune importunité ne vous ébranle ; que le non prononcé soit un mur d’airain, contre lequel l’enfant n’aura pas épuisé cinq ou six fois ses forces, qu’il ne tentera plus de le renverser 4[4]. »

  1. 1 P. 211. Cf. p.226.
  2. 2 P.207, 208, 211, 226, 227.
  3. 3 P. 227. Cf. p. 211.
  4. 4 Dans ces notes recueillies par Kant en vue des leçons qu’il avait à faire sur l’éducation, je retrouve la trace de l’Emile à chaque page. Je ne puis relever ici tous les emprunts ; qu’il me suffise d’avoir montré, par quelques exemples, quelle influence ce livre avait exercée sur le philosophe allemand. On a déjà pu voir d’ailleurs, et l’on verra bien mieux encore dans la suite avec quelle indépendance Kant se fait le disciple de