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ANALYSE CRITIQUE


nous devons y contribuer autant qu’il est en notre pouvoir. Chacun de nos semblables reste juge de ce qui est propre à le rendre heureux, et ce serait aller contre le but même qu’on se propose que de vouloir faire violence à quelqu’un sous ce rapport ; mais nous pouvons bien aussi leur refuser, à moins qu’ils n’aient d’ailleurs le droit de les exiger de nous, les choses qu’ils jugent propres à ce but et dont nous n’avons pas la même idée.

Que l’éthique ne donne pas de lois pour les actions, mais seulement pour les maximes des actions.

Lorsque l’éthique nous fait un devoir de prendre pour fin tel ou tel objet, le bonheur d’autrui par exemple, elle a en vue les maximes d’après lesquelles nous devons nous diriger 1[1]. Il ne s’agit plus ici seulement d’actes extérieurs à faire sous peine de porter atteinte aux droits d’autrui, mais de principes à se proposer pour règles de conduite. La loi du droit se borne à exiger certaines actions qu’elle nous impose au nom de la volonté générale ; celle de la vertu concerne les maximes que notre volonté doit s’imposer à elle-même à ce seul titre qu’elles peuvent être conçues comme universelles

Que les devoirs de l’éthique sont d’obligation large, tandis que ceux de droit sont d’obligation stricte.

Il suit de ce qui précède que les devoirs de vertu sont d’obligation large, tandis que ceux de droit sont d’obligation stricte 2[2]. En effet. dire que la loi de la vertu ne nous prescrit pas, comme celle du droit, d’actes déterminés et précis, mais seulement certaines maximes générales, comme celle de nous proposer pour fin le bonheur d’autrui, c’est dire qu’elle laisse à notre libre arbitre une certaine latitude. C’est mon devoir de suivre cette maxime, mais jusqu’où dois-je aller pour remplir la fin qu’elle me prescrit ? c’est ce qui reste indéterminé. Ce devoir est donc d’obligation large. Ce n’est pas à dire qu’il me soit permis de m’y soustraire : cela serait contradictoire ; le degré seul n’est pas fixé, et il est d’ailleurs limité par d’autres devoirs.

Considérons sous ce point de vue les devoirs de vertu que nous avons indiqués tout à l’heure 3[3].

De la perfection de soi-même comme devoir large.

C’est un devoir pour l’homme de tendre à sa propre perfection, en cultivant soit en général les facultés nécessaires à devoir large, l’accomplissement des fins qu’il peut avoir à poursuivre, soit

  1. 1 Introduction, VI, trad. franç., p. 26.
  2. 2 Ibid, VII, p. 28.
  3. 3 VII. Exposition des devoirs de vertu comme devoirs larges, p. 31.