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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


sa moralité même. Comme le caractère essentiel de l’humanité est le privilège que nous avons de nous proposer à nous-mêmes certaines fins, la raison veut que nous cultivions les facultés que la nature a mises en nous pour cette œuvre, mais qu’elle y a mises à l’état brut ; nous devons les cultiver, indépendamment même des avantages que nous en pouvons retirer, par cela seul qu’en agissant ainsi nous nous rendons dignes du titre que nous portons. Il y a donc là un devoir pour nous. Mais en même temps, comme il n’y a point de principe rationnel à l’aide duquel on puisse déterminer jusqu’où nous devons pousser la culture de nos facultés ce devoir est d’obligation large. D’ailleurs la différence des positions sociales et les circonstances qui peuvent survenir rendent fort arbitraire et fort incertain le choix des occupations auxquelles chacun peut être appelé à se livrer Tout ce que l’on peut faire ici, c’est donc de poser une maxime générale, que l’on exprimera ainsi : « Cultive les facultés de ton esprit et de ton corps, de manière à les rendre propres à toutes les fins qui peuvent soffrir à toi, ignorant quelles sont celles que tu auras à poursuivre 1[1]. » Pour ce qui est de la perfection morale, qui consiste non-seulement à faire son devoir, mais à le faire par amour du devoir, et à prendre la loi même pour mobile de ses actions, il semble qu’ici l’obligation doive être stricte. Mais « qui peut se flatter, dit Kant 2[2], de pénétrer assez avant dans les profondeurs de son propre cœur pour s’assurer pleinement de la pureté morale et de la sincérité de son intention ? Combien de fois cette faiblesse qui écarte chez un homme l’audace du crime n’a-t-elle point été prise par lui pour une vertu ; et combien peut-être vivent une longue vie sans faillir, qui n’ont pour eux que le bonheur d’échapper à toutes les tentations, et qui ignorent même tout ce qu’il y a de valeur morale dans une intention vraiment pure ! » La loi ne saurait exiger que cet acte intérieur ait réellement lieu ; elle ne peut faire autre chose que nous prescrire d’y travailler autant qu’il est en nous, et c’est pourquoi ici encore l’obligation est large.

  1. 1 Ibid., p. 32.
  2. 2 Ibid., p. 33.