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DOCTRINE DE LA VERTU


qui vivent les uns à côté des autres. La première seule est obligatoire.

Les stoïciens se faisaient une sublime idée du sage, quand ils lui faisaient dire : Je me souhaite un ami, non pour en être moi-même secouru dans la pauvreté, dans la maladie, dans la captivité, etc., mais pour pouvoir lui venir en aide et sauver un homme. Et pourtant ce même sage se disait à lui-même, quand il ne pouvait sauver son ami : Qu’est-ce que cela me fait ? C’est-à-dire qu’il rejetait la compassion.[1]

En effet, si un autre souffre et que je me laisse (au moyen de l’imagination) gagner par sa douleur, que pourtant je ne puis soulager, nous sommes alors deux à en souffrir, quoique (dans la nature) le mal n’atteigne véritablement qu’une personne. Or ce ne peut être un devoir d’augmenter le mal dans le monde, et par conséquent de faire le bien par compassion[2]. L’espèce de bienfait offensant qu’on appelle la pitié[3], et qui exprime une bienveillance pour des êtres indignes, est encore une chose dont les hommes devraient s’abstenir les uns à l’égard des autres ; car qui peut se flatter d’être lui-même digne du bonheur ?


§ 35.


Mais, quoique ce ne soit pas un devoir en soi de partager la douleur ou la joie d’autrui, c’en est un de prendre une part active[4] à son sort, et ainsi en définitive c’est au moins un devoir indirect de cultiver en

  1. Mitleidenschaft.
  2. Aus Mitleid.
  3. Barmherzigkeit.
  4. Thätige Theilnehmung.