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CONSOLATION


impitoyablement par une mort prématurée, tandis que la pauvreté et la misère déroulent ordinairement un long fil sur le fuseau des parques, et que beaucoup semblent ne vivre si longtemps que pour leur propre tourment ou pour celui des autres. Dans cette contradiction apparente le souverain maître dispense pourtant à chacun son lot d’une main sage. Il enveloppe d’une impénétrable obscurité la fin de notre destination dans ce monde ; il met notre activité en jeu au moyen de nos penchants ; il nous console par l’espérance ; et, par l’heureuse ignorance où il nous laisse sur l’avenir, il nous rend tout aussi empressés à méditer des desseins et des projets, quand ils doivent avoir bientôt un terme, que quand nous sommes encore au début ;

Que chacun parcoure le cercle que le ciel lui a destiné.
                                                                           Pope.

Entre toutes ces réflexions, le sage (mais combien y a-t-il d’hommes qui méritent ce nom ?) dirige surtout son attention sur la grande destinée qui l’attend au delà de la tombe. Il ne perd pas de vue l’obligation que lui impose le poste où la Providence l’a placé ici-bas. Raisonnable dans ses projets, mais sans entêtement, comptant sur l’accomplissement de ses espérances, mais sans impatience, modeste dans ses vœux, mais ne commandant pas, confiant, mais sans outrecuidance, il se montre zélé à remplir ses devoirs, mais prêt à se soumettre avec une résignation chrétienne à la volonté du souverain maître, s’il lui plaît de le rappeler, au milieu de tous ses efforts, du théâtre où il l’avait placé. Nous trouvons toujours les voies de la Providence sages et adorables dans toutes les choses où nous pouvons en quelque sorte les pénétrer ; ne doivent-elles pas l’être beaucoup plus encore, là où nous ne pouvons pas les découvrir ? La mort prématurée de ceux sur lesquels nous fondions les plus flatteuses espérances nous jette dans une sorte d’effroi ; mais combien de fois peut-être cela n’est-il pas la plus grande faveur du ciel ! Le malheur de bien des gens n’est-il pas surtout de n’avoir pas trouvé une mort opportune après leurs brillants débuts dans la vie ?

Un jeune homme plein d’espérances est mort, et combien de bonheur brisé ne croyons-nous pas avoir à regretter dans une perte si prématurée ? Mais dans le livre du destin peut-être en