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ANALYSE CRITIQUE


aussi ses règles, est désigné par Kant sous le nom d’ascétique 1[1]. Mais il y a loin de l’ascétisme où il place la discipline de la vertu aux principes que cette expression désigne ordinairement : aussi se plaît-il à opposer cet ascétisme tout moral à ce qu’il appelle l’ascétisme monacal. L’ascétisme moral doit toujours avoir en vue ces deux dispositions de l’âme dans l’accomplissement de nos devoirs : le courage et la sérénité ; c’est là qu’est son but. Le courage est d’abord nécessaire, puisque la vertu ne va pas sans la lutte et le sacrifice. Pour s’y former, il faut suivre la maxime des stoïciens : Supporte et abstiens-toi, άνέχου καί άπέχου. « Accoutume-toi à supporter les maux accidentels de la vie, et à t’abstenir des jouissances superflues ; » ainsi tu acquerras le courage qu’exige la pratique de la vertu, et tu entretiendras en toi cette santé morale qui est le premier de tous les biens. Mais ce n’est pas tout encore. La santé n’est qu’un bien-être négatif, tant qu’on n’y joint pas le sentiment positif de la vie. De même, dans la vie morale, le courage ne suffit pas sans la sérénité. Il ne faut pas que l’âme, dans l’accomplissement de ses devoirs, soit morose et sombre ; car elle serait alors tentée de les éviter. On ne cherche pas de bon cœur ce qui semble si pénible. Au courage des stoïciens il faut donc s’appliquer à joindre cette sérénité d’âme que recommandait Épicure. Pour cela il n’y a qu’une chose à faire : c’est de se conduire de façon à ne charger sa conscience d’aucune faute, et si on a eu le malheur d’en commettre, de travailler à les racheter en s’amendant. Tel est, en effet, le seul moyen pour nous de rectifier nos fautes, et c’est ici que Kant s’élève contre cette sorte d’ascétisme qui consiste à torturer son corps ou à se mortifier pour expier ses péchés. C’est là, selon lui, un fanatisme qui n’a rien de commun avec la vertu, et qui, au contraire, a pour effet d’exciter une secrète haine contre ses commandements. Il ne nous appartient pas de nous punir nous-mêmes : cela serait contradictoire ; mais, s’il faut repousser comme fausses et funestes ces sombres pénitences qu’on s’inflige à soi-même, il n’en est pas de même du repentir, que le souvenir de nos fautes passées ne manque pas d’exciter en nous. Ce dernier a un caractère moral et un effet

  1. 1 § 53, p. 175-177.