Page:Klapka - Trois Hommes en Allemagne, traduction Seligmann, 1922.djvu/31

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Ethelbertha. Nous pourrions avoir des journées d’une autre teinte et les aimer encore moins.

— Je n’en suis pas sûr. Je peux m’imaginer la douleur comme une diversion bienvenue dans une vie faite d’une joie ininterrompue. Je me demande quelquefois si les saints au paradis ne considèrent pas cette félicité continue comme un fardeau. Pour mon compte, j’ai l’impression qu’une vie de bonheur éternel, jamais coupée d’une note discordante, me rendrait fou. Sans doute, suis-je un être particulier ; il y a des moments où je ne me comprends plus. Il m’arrive alors de me détester.

Souvent un petit discours de cette sorte, faisant allusion à des émotions indescriptibles et occultes, avait ému Ethelbertha ; mais ce soir-là elle parut étrangement insouciante. Touchant le paradis et son effet sur moi, elle me conseilla de ne pas trop m’en tourmenter : c’était toujours folie d’aller au-devant d’ennuis qui peut-être n’arriveraient jamais. Que je fusse un garçon un peu étrange, ce n’était pas ma faute et, du moment que d’autres consentaient à me supporter, toute dissertation à ce sujet était vaine. Quant à la monotonie de la vie, comme c’était une épreuve commune, là-dessus nous pouvions du moins sympathiser.

— Tu ne te doutes pas combien quelquefois j’ai envie, continua Ethelbertha, de m’échapper, de m’éloigner, même de toi ; mais, sachant que c’est impossible, je ne m’arrête pas à cette éventualité.