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DEVANT LA DOULEUR

obscurcî, aigri par les corvées inévitables de la caserne en temps de paix. Biribi enfin, de Georges Darien, le plus chargé de colère, où passe le souffle révolutionnaire de Vallès, accompagné d’un furieux siroco en plein soleil. C’est de ces trois volumes que sont sortis Gustave Hervé première manière et les égarements que l’on sait. Ils ont eu un retentissement profond dans beaucoup de tempéraments quinteux et bilieux, rebelles à la discipline et que rebiffait sourdement — sans qu’ils se rendissent bien compte des motifs de leur aversion — l’obligation du service militaire. J’ai vu cet ensemencement se faire sous mes yeux, comme une expérience de laboratoire. C’est le plus souvent sur les coteaux littéraires que s’allument les incendies sociaux. Les écrits, dans un pays rapide et intelligent comme le nôtre, ont une importance de premier rang. Ainsi que dans l’incendie de Troie, proximus ardet Ucalegon.

Axiome : Les maux qu’engendre la littérature ne peuvent être guéris que par la littérature.

Corollaire : Un volume erroné se réfute, non par une brochure accessible à tous, sommaire ou primaire, du genre « bon pour le peuple », mais par un autre volume allant à la racine du fléau, ou par une longue série d’actions fortement pensées et solidement déduites.

N’oublions jamais que ce sont les encyclopédistes qui ont préparé la Révolution. Ces erreurs meurtrières ne pouvaient être détruites que par un corps de doctrine approfondie, que par une propagande intellectuelle de niveau supérieur. Dans toute affection du système nerveux central, il faut soigner le cerveau et la moelle, non les nerfs.

Totalement méconnues de la plupart des réactionnaires jusqu’à l’apparition des travaux du grand Maurras, ces vérités sont encore aujourd’hui ignorées des pâles conservateurs. Ils s’imaginent qu’on peut se débarrasser de l’antimilitarisme avec des arguments sentimentaux, à l’aide d’images d’Épinal, ou en traitant de crétins les instituteurs non patriotes. Ils prêtent à leurs adversaires leur manque de sérieux.

Or, il y a vingt-cinq ans, personne, tout au moins chez les hommes de lettres, ne soupçonnait que les romans précités et la Débâcle de Zola préparaient un redoutable scepticisme quant au devoir militaire. Ces cris de révolte, ces blasphèmes