Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/477

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plète, un esprit merveilleusement lucide, un romancier, un auteur dramatique et un critique de premier rang. Ses pièces de théâtre ont peu réussi à Londres, où le public est très enfant, se satisfait de féeries à grand spectacle ou de petites histoires sentimentales. En revanche, ses livres et ses essais sont universellement lus et admirés. Il correspond assez au type que Nietzsche a décrit sous le nom de bon Européen. Ses connaissances sont universelles. Son goût en tout est sûr et parfait. Joignez à cela un don ironique, mais dans la bienveillance, qui lui permet de rire d’un travers d’autrui et de l’excuser tout à la fois. Son physique, qui tient du médecin et du juge, inspire la sérénité et la confiance. Alphonse Daudet l’aimait infiniment.

Il lui disait un jour : « Quel air de fierté ont les soldats anglais ! Comme ils se cambrent pour marcher dans la rue, leur badine à la taille ! »

James répondit, la main en avant, avec ce débit scrupuleux et appuyé qui est le sien : « Mon bon Daudet, il faut ainsi, vous devez, il importe de tenir compte des servantes jeunes et jolies qui les observent derrière les carreaux ».

Je lui disais : « Cher monsieur James, comment se fait-il que les Anglais fassent servir chez eux le vin, d’ailleurs excellent, dans des verres à liqueur et une seule fois à la fin du repas ? »

Il me répondit en riant : « Cher monsieur Léon, cette antique coutume n’est heureusement pas universellement répandue. Vous êtes tombé jusqu’ici sur des hôtes de méthode œnophile archaïque, oui, terriblement archaïque ».

Nous nous amusions ainsi à relever les différences fondamentales des tempéraments anglais et français, des habitudes de vie anglaises et françaises. Georges Hugo, qui est passionné pour l’Angleterre, soutenait toujours qu’ils avaient raison, que c’était mieux ainsi, et James remettait gentiment les choses au point : « Cher monsieur Georges, tout n’est pas la perfection dans cette ancienne, sympathique, contradictoire civilisation. Non, certes, tout n’y est pas parfait. Mais je suis heureux de vous voir tenir pour agréable le petit repas du matin, avec ses délices multiples et simples ». C’est-à-dire le poisson bien frais, le jambon, les œufs, la confiture, tout le lest excellent de l’Anglais qui part pour son travail. Ce travail n’est pas accablant.