Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/627

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expression que dans le soliloque de la prière. Vivier est mort, mais son esprit continue à flotter autour de moi, dans ces ondes de mémoire sensible qui entourbillonnent les vivants, et je crois l’entendre quand, arrivé au bout de sa réflexion, il éclatait d’un rire olympien.

Lemaître, qui n’était certes pas un gobeur, disait de lui, les yeux pleins de larmes, en revenant du cimetière : « C’est maintenant notre tour à nous autres, puisqu’il n’est plus là pour nous retenir ». Ce propos se vérifia à la lettre. Une douzaine de ceux et de celles qu’il aidait à vivre sont entrés sous les ombres, une fois privés de sa sauvegarde, de sa tutelle. Pire malheur peut-être, les cinq ou six vues de génie thérapeutique, dont notre cher sorcier avait fait le tour, et dont chacune était aussi riche que la découverte des sérums par exemple, ont perdu le souffle avec lui. La course du flambeau n’est qu’une figure. Trop souvent le coureur en tombant éteint la flamme, qui ne se rallumera plus, si elle se rallume, que longtemps, longtemps après lui.

Quand il n’est pas une duperie, un mirage, quand il est le reflet d’un esprit supérieur, le verbe emporte tout. L’éloquence naturelle et concise du grand Charcot l’aida à déchiffrer le système nerveux. Vivier était un verbal sans verbosité, un de ceux chez qui le terme exact est comme la rampe de la découverte et qui s’appuient sur lui pour monter plus haut, pénétrer plus avant. C’était par là qu’il était homme d’action, c’est-à-dire, dans son royaume, d’intervention. Un jour — il habitait alors avenue d’Iéna — je descendis avec lui les Champs-Élysées à pied, par une belle soirée. Il en était sur la nonchalance avec laquelle la plupart des gens gâchent leur vie, en cédant à leurs petits penchants, en se laissant glisser le long de leurs petites pentes. Nous les comparions à des sauvages ignorants, que leurs pirogues emportent au fil de l’eau, dans des dérivations en cul-de-sac, ou vers des abîmes. Il me prit le bras : « Tu sais que, d’un mot, bien placé, on peut sauver un malheureux, donner un autre tour à son démon intérieur. Cela m’est arrivé plus d’une fois ».

J’ajoutai : « Si ma conception de l’hérédité est juste, c’est que ce mot, bien placé, a réveillé la personnalité profonde, ou imposé silence à un ancêtre dangereux. Les « paroles-talis-