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SALONS ET JOURNAUX

Sa fonction de député l’amusait par le coudoiement et le spectacle, et le rebutait par les petites ruses ou compromissions qu’elle entraîne. Sa campagne électorale en Algérie était pour lui une source de préoccupations de détail, qui le fatiguaient, bien qu’il y recueillît des impressions violentes et joyeuses. Il emmenait avec lui Gaston Méry, qui lui épargnait les tracas et les principaux raseurs, mais qui ne pouvait cependant prononcer les discours à sa place. L’art de la parole n’a jamais fait son bonheur. Il restait à la tribune dans le ton de la conversation, avec une certaine retenue intime qui l’empêchait de se laisser aller à sa fougue, comme lorsqu’il écrivait ou qu’il dictait. Enfin il lui était pénible d’être exploité, tapé, surtapé par une bande d’aigrefins et de farceurs, comme il arrive nécessairement en ces sortes d’aventures. Il a passé à la Chambre presque inaperçu, de la même façon que Barrès et Melchior de Vogué, pour des raisons un peu différentes.

À l’époque dont je parle, Drumont arrivait à son journal, 14, boulevard Montmartre, sur le coup de 5 heures et demie, dans sa voiture d’évêque, conduite par son fidèle Jean. Tout de suite, il montait dans son grand bureau, situé à côté de celui de Devos, administrateur, avec vue sur le boulevard et les manifestations. Son secrétaire de rédaction venait aussitôt le rejoindre, tantôt Joseph Ménard, tantôt Méry, tantôt Monniot, tantôt le commandant Biot, tantôt Boisandré. Je vais vous les présenter tous les six.

Joseph Ménard, de la branche catholique des Ménard du Languedoc, était vif et pétulant comme une amorce, haut comme une botte, assez éloquent, amusant et libéral en diable. Il avait bon cœur, mais ne possédait pas plus de cervelle qu’un poulet. Je ne l’ai jamais écouté, encore qu’il m’ait tenu, entre deux portes, de longs discours sur ce qu’il y avait à faire, ou à ne pas faire pour sauver la France. Quand il avait parlé une heure, on sentait qu’il pouvait parler encore une autre heure et les mots, qui se pressaient sur ses lèvres d’avocat disert, étaient blancs et volatils comme des fantômes.

Gaston Méry avait de l’entrain, des dons de polémiste, un réel patriotisme, mais une vue courte, bornée, sommaire, le sourire ambigu, la main fuyante et toutes les illusions démocratiques. Nous ne nous sommes jamais accrochés, en dépit de