Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/107

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Le comte de Canaple n’en fit aucune, et profita du bonheur qui venait s’offrir à lui. Cette personne, qui ne s’était presque pas éveillée, se rendormit aussitôt profondément ; mais son sommeil ne fut pas respecté. Mon dieu, dit-elle d’une voix pleine de charmes, ne voulez-vous pas me laisser dormir ? La voix de madame de Granson, que le comte de Canaple reconnut, le mit dans un trouble et dans une agitation qu’il n’avait jamais éprouvés. Il regagna la place où il s’était mis d’abord, et attendit, avec une crainte qui lui ôtait presque la respiration, le moment où il pourrait sortir. Il sortit enfin, et si heureusement, qu’il ne fut vu de personne, et regagna la maison de M. de Châlons.

L’extase et le ravissement l’occupèrent d’abord tout entier. Madame de Granson se présentait à son imagination avec tous ses charmes ; il se reprochait de n’y avoir pas été sensible ; il lui en demandait pardon. Qu’ai-je donc fait jusqu’ici ? disait-il. Ah ! que je réparerai bien, par la vivacité de mes sentiments, le temps que j’ai perdu ! Mais, ajoutait-il, me pardonnerez-vous mon indifférence ? oublierez-vous que j’ai pu vous voir sans vous adorer ?

La raison lui revint enfin, et lui fit connaître son malheur. Il vit avec étonnement et avec effroi qu’il venait de trahir son ami, et de faire le plus sensible outrage à une femme qu’il respectait bien plus alors qu’il ne l’avait jamais respectée. Son âme était déchirée par la honte et le repentir, qu’il sentait pour la première fois. Il ne pouvait durer avec lui-même : cette probité, dont il avait fait une profession si délicate,