Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/114

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je suis, disait-il ; sans moi, sans mes soins, Granson, livré à son inconstance, aurait donné tant de dégoûts à sa femme, qu’elle aurait cessé de l’aimer, et je serais du moins délivré du supplice de la voir sensible pour un autre. Mais, reprenait-il, ai-je oublié que cet homme qui excite ma jalousie est mon ami ? Voudrais-je lui enlever les douceurs de son mariage ? Est-il possible que la passion m’égare jusqu’à ce point ? Je ne connais plus d’autres sentiments, d’autres devoirs que ceux de l’amour. Tout ce que j’avais de vertu m’est enlevé par cette funeste passion, et, loin de la combattre, je cherche à la nourrir. Je me fais de vains prétextes de voir madame de Granson, que je devrais fuir. Il faut m’éloigner, et regagner, si je puis, cet état heureux où je pouvais être avec moi-même, où je pouvais, avec satisfaction, connaître le fond de mon âme.

M. de Canaple n’était pas le seul qui prenait cette résolution ; c’était pour l’éviter que madame de Granson était venue à la campagne. Le même motif la pressait de retourner à Dijon.

Madame de Beaumont et le reste de la compagnie partirent quelques jours avant celui où madame de Granson avait fixé son départ. Le seul comte de Canaple demeura. Il crut que, dans le dessein où il était de fuir madame de Granson pour jamais, il pouvait se permettre la satisfaction de la voir encore deux jours. Elle évitait, avec un soin extrême, de se trouver avec lui ; et, quoiqu’il le désirât, il se craignait trop lui-même pour en chercher l’occasion.

Le hasard fit ce qu’il n’eût osé faire. La veille du jour marqué pour leur départ, il alla se promener dans