Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/123

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point la violence de sa passion ; il finit par me dire, qu’il ne me contraindrait jamais, et qu’il voulait, si je consentais à son bonheur, tenir ce sacrifice de mon amitié, et nullement de mon obéissance. Voilà où j’en suis : il ne me parle de rien ; mais sa douleur, dont je ne m’aperçois que trop, m’en dit plus qu’il ne m’en dirait lui-même. Il faut que l’un de nous deux sacrifie son bonheur au bonheur de l’autre. Est-ce mon père qui doit faire ce sacrifice ? et dois-je l’exiger ?

Je ne répondis à mademoiselle de Mailly que par les marques de mon désespoir. Je crus n’en être plus aimé. Je vais, me dit-elle, vous faire sentir toute votre injustice, et vous donner une nouvelle preuve de l’estime que j’ai pour vous. Vous connaissez ma situation ; vous m’aimez ; vous savez que je vous aime : décidez de votre sort et du mien ; mais prenez vingt-quatre heures pour vous y déterminer.

Elle me quitta à ces paroles, et me laissa dans l’état que vous pouvez juger. Plus j’aimais, plus je craignis de l’engager dans des démarches qui pouvaient intéresser sa gloire et son repos. Je connaissais combien son père lui était cher ; je savais que le malheur de ce père deviendrait le sien. Après avoir passé les vingt-quatre heures qu’elle m’avait données, je la revis sans avoir le courage de me rendre ni heureux, ni misérable ; et nous nous quittâmes sans avoir pris aucune résolution.

À quelques jours de là, elle me rendit compte d’une conversation qu’elle avait eue avec son père. Il renonçait à l’autorité que la nature lui avait donnée, et la rendait par-là plus forte ; il n’employait auprès de sa