Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/127

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pensée ni de dessein déterminé. Elle portait avec elle l’enfant qui venait de naître. Ceux qui font la ronde dans les places de guerre passaient alors ; je ne sais si elle eut peur d’en être reconnue, ou si elle exécutait ses ordres ; mais elle ne les eut pas plutôt aperçus, qu’elle mit l’enfant à une porte, et gagna une rue détournée.

Ce n’était pas de moi que cette petite créature devait attendre du secours ; je lui en donnai cependant, par un sentiment de pitié, où il entrait une espèce d’attendrissement pour la mère. Il me parut aussi que c’était me venger d’elle que d’avoir son enfant en ma puissance. Je le remis à la femme chez qui je logeais, sans avoir eu la force de le regarder, et je fus me renfermer dans ma chambre, abîmé dans mes pensées. Plus je rêvais à cette aventure, moins je la comprenais. Mon cœur était si accoutumé à aimer et à estimer mademoiselle de Mailly, il m’en coûtait tant de la trouver coupable, que j’en démentais mes oreilles et mes yeux. Elle n’avait pu me trahir, elle n’avait pu se manquer à elle-même. Je concluais qu’il y avait quelque chose à tout cela que je n’entendais point.

Je formais la résolution de m’en éclaircir, lorsque la femme à qui je venais de remettre cette petite créature, persuadée que j’en étais le père, vint me l’apporter pour me faire, disait-elle, admirer son extrême beauté. Quoique j’en détournasse la vue avec horreur, je ne sais comment j’aperçus qu’il était couvert d’une hongreline faite d’une étoffe étrangère que j’avais donnée à mademoiselle de Mailly. Quelle vue, mon cher Canaple ! et que ne produisit-elle point en moi ! Il semblait que je ne me connaissais trahi que depuis ce