Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/128

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moment. Tout ce que je venais de penser s’évanouit : je rejetai avec indignation des doutes qui avaient suspendu en quelque sorte ma douleur ; elle devint alors extrême, et mon ressentiment lui fut proportionné ; peut-être lui aurais-je tout permis, si un événement singulier, qui me força de sortir de Calais dès le lendemain, n’avait donné à ma raison le temps de reprendre quelque empire.

Je ne puis vous dépeindre l’état où j’étais, je m’attendrissais sur moi-même ; mon cœur sentait qu’il avait besoin d’aimer. Je me trouvais plus malheureux de renoncer à un état si doux, que je ne l’étais d’avoir été trahi. Enfin, bien moins irrité qu’affligé, toutes mes pensées allaient à justifier mademoiselle de Mailly. Je ne pouvais avoir de paix avec moi-même, que lorsque j’étais parvenu à former des doutes. Je lui écrivais, et je lui faisais des reproches ; ils étaient accompagnés d’un respect que je sentais toujours pour elle, et dont un honnête homme ne doit jamais se dispenser pour une femme qu’il a aimée. Ma lettre fut rendue fidèlement ; mais, au lieu de la réponse que j’attendais, on me la renvoya sans avoir daigné l’ouvrir.

Le dépit que m’inspira cette marque de mépris me fit prendre la résolution de triompher de mon amour, que je n’avais point prise jusque-là, ou que du moins j’avais prise faiblement. Pour mieux y réussir, je me remis dans le monde que j’avais presque quitté ; je vis des femmes ; je voulais qu’elles me parussent belles ; je leur cherchais des grâces ; et, malgré moi, mon esprit et mon cœur faisaient des comparaisons qui me rejetaient dans mes premières chaînes.