Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/139

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en Bourgogne, avec ordre d’acheter Vermanton, à quelque prix qu’il fût. L’acquisition des meubles était surtout recommandée ; toutes les choses qui avaient appartenu à madame de Granson, et dont elle avait fait usage, étaient d’un prix infini pour le comte de Canaple ; ce lit où il avait été si heureux n’avait pas même de privilège. L’amour, quand il est extrême, n’admet point de préférence.

Les cœurs sensibles se devinent les uns les autres. Madame de Granson comprit ce qui obligeait le comte de Canaple à offrir un prix excessif de Vermanton ; elle crut même que ce lieu ne lui était cher que par la même raison qu’elle avait pour le trouver odieux, et mit obstacle à l’acquisition qu’il voulait en faire. Le comte de Canaple regarda ce refus comme une nouvelle marque de haine.

Ce que M. de Vienne lui contait de la retraite où sa fille vivait depuis l’absence de M. de Granson le confirmait dans cette opinion. Les malheureux tournent toujours leurs pensées du côté qui peut augmenter leurs peines. Il se persuada que madame de Granson aimait encore plus son mari qu’elle ne l’avait aimé. C’est moi, disait-il, qui lui ai appris à aimer ; son cœur a été instruit par le mien de toutes les délicatesses de l’amour ; ma passion lui sert de modèle ; elle fait pour son mari ce qu’elle sent bien que je ferais pour elle, et j’ai le malheur singulier que ce que l’amour m’a inspiré de plus tendre est au profit de mon rival.

Ces réflexions désespérantes jetaient le comte de Canaple dans une tristesse qui n’échappa pas à made-