Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/215

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L’outrage que le comte de Canaple lui avait fait, les services qu’il lui avait rendus, la tendresse qu’elle ne pouvait s’empêcher d’avoir pour lui, l’amour dont elle le soupçonnait pour mademoiselle de Mailly, toutes ces différentes pensées l’occupaient tour à tour, et ne la laissaient pas un seul moment d’accord avec elle-même. Il n’était cependant pas possible que ce que le comte de Canaple venait de faire ne lui causât un sentiment de plaisir, et qu’elle ne sentît la part qu’elle y avait. Mais ce plaisir fut suivi d’une douleur mêlée de honte, quand elle apprit que mademoiselle de Mailly partageait les secours qu’on lui donnait. Ce serait peu de les partager, disait-elle, c’est à elle que je les dois ; et la fortune, qui me persécute avec tant de cruauté, m’expose à cette nouvelle humiliation.

Ces pensées ne la disposaient pas à recevoir favorablement le comte de Canaple. Il crut, après avoir fourni aux nécessités les plus pressantes de la ville, pouvoir s’y arrêter quelques jours. L’état de liberté où madame de Granson était alors, ce qu’il faisait pour elle, lui donnaient une espérance, que la vivacité de sa passion augmentait encore, par le besoin qu’elle lui donnait d’espérer. Tout cela le déterminait à chercher à la voir, et à lui parler. M. de Vienne le mena avec empressement dans l’appartement de sa fille.

Aidez-moi, lui dit-il, à m’acquitter envers ce héros. Notre reconnaissance, répliqua-t-elle, d’un ton froid, et sans regarder le comte de Canaple, payerait mal monsieur ; il attend un prix plus glorieux de ce qu’il a fait. M. de Canaple, que l’accueil de madame de Granson avait glacé, demeurait sans réponse, et,