Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/220

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comte de Canaple. Il la trouvait si injuste, les services qu’il rendait si mal payés, qu’il y avait des moments où il se repentait presque de tout ce qu’il avait fait, et où il formait la résolution de fuir madame de Granson pour jamais.

Sans avoir déterminé ce qu’il devait faire, il partit de Calais. Mais le véritable amour se range toujours du parti de l’objet aimé. M. de Canaple se jugea bientôt coupable de l’injustice dont il accusait madame de Granson ; il trouvait des raisons pour justifier la conduite qu’elle avait alors, si différente de celle qu’elle avait eue à Paris. La présence de son mari l’avait obligée à des ménagements qui n’étaient plus nécessaires, et elle pouvait, en liberté, se livrer à toute son indignation. Plus la mort de son mari l’avait attendrie pour lui, plus elle devait sentir l’injure qui lui avait été faite.

À mesure que le dépit s’éteignait dans l’âme de M. de Canaple, il reprenait le désir d’approvisionner Calais. Ce qu’il avait déjà fait l’engageait à faire davantage. L’amour de sa propre gloire demandait de lui ce que son amour pour madame de Granson ordonnait.

Les moments étaient précieux : les Anglais pouvaient découvrir la manœuvre, et y mettre obstacle. Les matelots eurent ordre de préparer les petits bâtiments. Une tempête furieuse s’éleva, dans le temps qu’il fallut s’embarquer : les deux matelots représentèrent en vain au comte de Canaple la grandeur du péril ; la tempête, loin de le rebuter, lui donnait au contraire une nouvelle assurance de se dérober à la flotte ennemie.

Pendant vingt-quatre heures, que dura le trajet, ils