Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/232

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que six citoyens de Calais lui soient abandonnés, et qui ne pardonne au reste de la ville qu’à ce prix.

Eustache avait une fermeté d’âme, une élévation d’esprit et de sentiments bien au-dessus de sa naissance, et rares même dans les conditions les plus élevées. L’honneur que vous me faites, seigneur, dit-il au comte de Canaple, m’instruit de ce que je dois faire moi-même. Je me montrerai, si je puis, digne d’avoir un fils tel que vous ; nous irons ensemble nous offrir pour premières victimes.

Le lendemain, le peuple fut assemblé par M. de Vienne ; on n’entendait que cris, que soupirs, que gémissements dans toute cette multitude consternée : la certitude de la mort inévitable, quelque parti qu’ils prissent, ne donnait à personne le courage de mourir du moins utilement pour sa patrie.

Quoi ! dit alors Eustache de Saint-Pierre, en se montrant à l’assemblée ! cette mort, que nous affrontons depuis un an, est-elle devenue plus redoutable aujourd’hui ? Quel est donc notre espoir ? Échapperons-nous à la barbarie du vainqueur ? Non. Nous mourrons, et nous mourrons honteusement, après avoir vu nos femmes et nos enfants livrés à la mort ou à la dernière des ignominies.

L’horreur qui régnait dans l’assemblée, redoubla encore à cette affreuse peinture. Eustache, interrompu par de nouveaux cris et de nouveaux gémissements, poursuivit enfin : mais pourquoi de vains discours, quand il faut des exemples ? Je donne, pour le salut de mes concitoyens, ma vie et celle de mon fils. Quoiqu’il ne paraisse pas avec moi, il nous joindra à la porte de la ville.