Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/278

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Deux heures de peine et de trouble avaient apporté sur mon visage un si grand changement, que, dès qu’elle me vit, elle me demanda avec inquiétude si j’étais malade. Je le voudrais, répondis-je en pleurant ; je crois que je voudrais être morte. Qu’avez-vous donc, mon enfant, me dit-elle ? Dépêchez-vous de parler ; vous me donnez une véritable inquiétude. Hélas ! répliquai-je, je suis la plus malheureuse personne du monde : mon père et ma mère viennent de m’annoncer que je suis promise à M. le marquis de N… Que ferai-je, ma chère Eugénie ? Gardez-moi avec vous ; j’aime mieux passer ma vie dans le couvent, que d’épouser un homme que je hais, qui ne veut de moi que pour mon bien, qui croit me faire trop d’honneur, qui me méprisera dès que je serai sa femme. Je ne suis touchée, ni de la condition, ni du rang : à quoi me servirait tout cela avec un mari qui me donnerait mille dégoûts, mille mortifications ? Que je suis à plaindre ! conseillez-moi, je vous en prie.

Vous obéirez, répondit Eugénie. Ah ! vous ne m’aimez plus, m’écriai-je ! vous voulez que je sois malheureuse ! Je veux, répliqua-t-elle, que vous soyez raisonnable. Vous n’avez pas même de prétexte pour refuser le marquis de N… Pourquoi voulez-vous qu’il vous méprise ? pourquoi toutes ces chimères ? êtes-vous la première fille de votre espèce qui aura été transplantée à la cour ? ayez un maintien convenable ; votre naissance alors, loin de vous nuire, vous servira : mettez, par votre conduite, le public dans vos intérêts, et votre mari lui-même n’osera vous manquer. Mais, répliquai-je, je le hais, et je le haïrai toujours.