Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/279

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Eugénie fixa quelques moments ses yeux sur moi, et m’obligea à baisser les miens. Vous craignez, me dit-elle, que je ne lise dans votre cœur. Hélas ! mon enfant, j’y lis depuis long-temps : le marquis de N… ne vous paraît haïssable que parce que Barbasan vous paraît aimable. Je ne vous en ai point parlé ; je sentais que vous vous seriez appuyée de ma pénétration pour vous justifier à vous-même vos sentiments. À quoi pensez-vous, continua-t-elle ? Que voulez-vous faire de cette inclination ? voulez-vous vous rendre malheureuse ? car vous ne sauriez vous flatter de l’épouser.

Le nom de Barbasan, l’impossibilité d’être à lui, que je n’avais envisagée jusque-là que vaguement, me remplirent d’un sentiment si tendre et si douloureux, qu’en un instant mon visage se couvrit de larmes. Vous me faites pitié, me dit Eugénie. Parlez-moi ; ne craignez point de me montrer votre faiblesse ; si je vous condamne, je vous plains aussi ; vous avez besoin de conseils, vous avez besoin de courage. Barbasan sait-il l’inclination que vous avez pour lui ? Hélas ! m’écriai-je. comment la saurait-il ! je ne la sais pas moi-même. Vous a-t-il parlé, continua-t-elle ? Quelle est sa conduite ? quelle est la vôtre ?

J’étais dans cet état où la confiance est un véritable besoin : l’amitié qu’Eugénie me marquait, m’y engageait encore ; et puis le plaisir de parler de ce qu’on aime ! Je contai donc avec le plus grand détail, non seulement tout ce que Barbasan m’avait dit, mais ce que je lui avais entendu dire. Si vous saviez, ajoutai-je, combien il est raisonnable, combien il est différent des autres !