Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/303

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Que l’on juge, s’il est possible, quelle nuit je passai : tout ce qu’il y a de plus noir, de plus tragique, se présentait à mon imagination. Eugénie ne me quitta point. Elle avait trop d’esprit et de sentiment pour chercher à adoucir ma peine par de mauvaises raisons ; elle s’affligeait avec moi, et me donnait par-là la seule consolation dont j’étais susceptible.

Le commandeur vint, comme il me l’avait promis. Son visage triste et son air consterné portèrent la terreur dans mon âme. On avait plus de preuves qu’il n’en fallait : les témoins venaient de toutes parts. Le nombre, ajouta le commandeur, est trop grand, pour qu’il puisse être vrai ; leurs dépositions seront contestées, et nous gagnerons du temps.

Quoique j’eusse pleuré tout le temps que le commandeur avait été avec moi, sa présence, ses discours m’avaient cependant un peu soutenue ; dès que je ne le vis plus, loin de conserver quelque espérance, je ne comprenais pas même que j’eusse pu en concevoir.

Cette nuit fut mille fois plus affreuse que toutes les précédentes ; je tressaillais d’horreur de ce qui pouvait arriver. Cette idée faisait une telle impression sur moi, que je ne pouvais même en parler à Eugénie. Je crois que je serais morte, de prononcer les mots terribles d’échafaud et de bourreau. Ce que je sentais alors a laissé de si profondes traces dans mon esprit, qu’après quarante ans, je ne puis le penser et l’écrire sans émotion.

J’avais appris, par le commandeur de Piennes, que de mauvais discours, tenus sur mon compte par le marquis du Fresnoi, avaient engagé Barbasan à l’appeler