Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/315

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à faire un infidèle. Loin que la jalousie dont j’étais animée diminuât ses agréments, il semblait que, pour augmenter mon supplice, elle y ajoutait encore. Je n’ai jamais vu de physionomie plus intéressante, tant de grâces, tant de beauté, jointes à la fraîcheur de la première jeunesse et à l’air le plus doux et le plus modeste. Elle tournait la tête à tout moment pour voir, à ce que je jugeai, si Barbasan la suivait ; il ne tarda pas ; elle lui dit quelque chose à l’oreille ; il répondit par un souris qui acheva de me désespérer.

Comme je n’étais pas éloignée du lieu où ils étaient, il m’aperçut : ses yeux restèrent assez longtemps attachés sur mon visage ; il les baissa ensuite, et je crus m’apercevoir qu’il soupirait : il me regarda de nouveau avec plus d’attention. Après ce second examen, je le vis sortir de l’église : si j’en eusse eu la force, je l’aurais suivi dans mon premier mouvement ; mais les jambes me tremblaient au point que je fus contrainte de rester où j’étais.

Que de réflexions sur ce qui venait de se passer ! Il m’avait reconnue sans doute. Était-ce la honte de paraître devant moi après sa trahison ? était-ce la crainte de mes justes reproches qui l’avaient déterminé à me fuir ? cette crainte l’aurait-elle emporté, si quelque chose lui eût encore parlé pour moi ? Je sentais dans ces moments que le plus faible repentir, le plus léger pardon m’eût tout fait oublier : peut-être l’aurais-je demandé moi-même. Je me croyais presque coupable de ce qu’il ne m’aimait plus. L’effet que cette pensée produisit en moi paraîtra incompréhensible à ceux qui n’ont jamais eu de véritable passion.