Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/32

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Lussan : tous les biens qu’il possède vous appartiennent par une substitution, et votre grand-père n’a pu en disposer. Quand vous serez le maître, ajouta-t-il, il vous sera aisé de faire valoir vos droits.

Ce discours augmenta encore l’éloignement de mon père pour son cousin. Leurs disputes devenaient si vives, qu’on fut obligé de les séparer. Ils passèrent plusieurs années sans se voir, pendant lesquelles ils furent tous deux mariés. Le marquis de Lussan n’eut qu’une fille de son mariage, et mon père n’eut aussi que moi.

À peine fut-il en possession des biens de la maison, par la mort de mon grand-père, qu’il voulut faire usage des avis qu’on lui avait donnés. Il chercha tout ce qui pouvait établir ses droits ; il rejeta plusieurs propositions d’accommodement ; il intenta un procès qui n’allait pas à moins qu’à dépouiller le marquis de Lussan de tout son bien. Une malheureuse rencontre qu’ils eurent un jour à la chasse acheva de les rendre irréconciliables. Mon père, toujours vif et plein de sa haine, lui dit des choses piquantes sur l’état où il prétendait le réduire. Le marquis, quoique naturellement d’un caractère doux, ne put s’empêcher de répondre. Ils mirent l’épée à la main ; la fortune se déclara pour M. de Lussan ; il désarma mon père, et voulut l’obliger à lui demander la vie : Elle me serait odieuse, si je te la devais, lui dit mon père. Tu me la devras malgré toi, répondit M. de Lussan, en lui jetant son épée et en s’éloignant.

Cette action de générosité ne toucha point mon père : il sembla au contraire que sa haine était augmentée par la double victoire que son ennemi avait remportée