Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/35

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osai-je les lever quand je fus sans témoin ; j’avais dit jusque-là à toutes les femmes, même plus que je ne sentais ; je ne sus plus que me taire, aussitôt que je fus véritablement touché.

Nous rejoignîmes la compagnie, sans que nous eussions prononcé un seul mot, ni l’un ni l’autre ; on ramena les dames chez elles, et je revins m’enfermer chez moi. J’avais besoin d’être seul pour jouir de mon trouble et d’une certaine joie qui, je crois, accompagne toujours le commencement de l’amour. Le mien m’avait rendu si timide, que je n’avais osé demander le nom de celle que j’aimais ; il me semblait que ma curiosité allait trahir le secret de mon cœur : mais que devins-je, quand on me nomma la fille du comte de Lussan ? Tout ce que j’avais à redouter de la haine de nos pères se présenta à mon esprit ; mais, de toutes les réflexions, la plus accablante fut la crainte que l’on n’eût inspiré à Adélaïde (c’était le nom de cette belle fille) de l’aversion pour tout ce qui portait le mien. Je me sus bon gré d’en avoir pris un autre ; j’espérais qu’elle connaîtrait mon amour sans être prévenue contre moi ; et que, quand je lui serais connu moi-même, je lui inspirerais du moins de la pitié.

Je pris donc la résolution de cacher ma véritable condition encore mieux que je n’avais fait, et de chercher tous les moyens de plaire ; mais j’étais trop amoureux pour en employer d’autre que celui d’aimer. Je suivais Adélaïde par-tout : je souhaitais avec ardeur une occasion de lui parler en particulier, et, quand cette occasion tant désirée s’offrait, je n’avais plus la force d’en profiter. La crainte de perdre mille petites libertés