Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/373

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en prie, pour votre intérêt plus que pour le mien, de dérober à tout le monde la connaissance de ce qui vient de se passer entre nous. Cette précaution n’était pas nécessaire ; ma conduite me paraissait à moi-même si blâmable que je n’étais nullement tentée d’en parler.

Je passai la nuit à me repentir et à m’applaudir de ce que je venais de faire. Je connaissais mon injustice ; je me la reprochais ; mais je ne pouvais m’empêcher de sentir une secrète joie d’avoir donné au comte de Barbasan une marque d’amour que j’eusse pourtant été désespérée qu’il eût pu savoir.

M. d’Hacqueville sortit de ma chambre sur le matin, et me dit seulement qu’il me conseillait de feindre d’être malade, pour lui donner un prétexte de reprendre son appartement. Cette feinte indisposition nous exposa à beaucoup de plaisanteries. Enfin, après quelques jours, nous fûmes traités comme de vieux mariés, et l’on ne prit plus garde à nous.

À l’exception d’un seul point, je mettais tout en usage pour contenter M. d’Hacqueville. Tous ses amis devinrent bientôt les miens : je me conformais à tous ses goûts ; mes soins et mes attentions ne se démentaient pas un moment ; mais nos tête-à-tête étaient difficiles à soutenir ; nous trouvions à peine quelques mots à nous dire. M. d’Hacqueville me regardait, soupirait et baissait les yeux ; il commençait souvent des discours qu’il n’osait achever ; il me serrait les mains, il me les baisait ; il m’embrassait, quand nous nous séparions, avec une tendresse qui me disait ce qu’il n’osait me dire.

Je sentais qu’il n’était point heureux, et j’en avais