Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/381

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(c’était le nom que je lui donnais, et que mon cœur lui donnait encore plus que ma bouche) mourait d’impatience d’être à Mayence. L’empressement qu’il eut de demander ses lettres, avant même que nous fussions descendus de cheval, l’avidité avec laquelle il lut et relut celle que le caractère me fit juger d’une femme, tout cela me fit sentir mon malheur. Ce qui se passait dans mon cœur me donnait l’explication de ce que je voyais : M. de Barbasan aimait.

Combien de soupirs, combien de larmes cette cruelle connaissance me fit-elle verser ! La jalousie avec toutes ses horreurs vint s’emparer de moi. J’accusais M. de Barbasan d’ingratitude, presque de perfidie. Il aurait dû deviner mes sentiments : il aurait dû deviner ce que j’étais : se serait-il mépris s’il n’avait pas été prévenu pour une autre ? Pardonnez-moi, madame ; je ne pouvais m’imaginer que cette autre eût fait autant pour lui. Mon pays abandonné, mon père, mon frère, pour qui j’aurais donné ma vie dans d’autres temps, exposés aux plus grands dangers : enfin, que n’avais-je point fait ! Hélas ! disais-je, je m’en tenais payée par l’espérance d’être aimée. Un moindre bien m’aurait satisfait : il m’eût suffi qu’il n’eût eu pour personne les sentiments qu’il me refusait. Il me passa plusieurs fois dans la tête de me jeter à ses pieds, de répandre devant lui les larmes que je dévorais en secret ; mais un reste de pudeur, que je n’avais pas encore perdu, me retint.

Les bottes qu’il portait, et qui n’étaient pas faites pour lui, l’avaient blessé si fort, que nous fûmes obligés de séjourner plusieurs jours à Mayence. Comme