Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/386

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aux occasions, sur-tout quand il se voit passionnément aimé.

Au bout de quelque temps, je m’aperçus que j’étais grosse : loin de m’en affliger, j’en eus une extrême joie. M. de Barbasan ne fut pas de même ; il en eut au contraire un très-vif chagrin. Peut-être mon état lui représentait-il plus vivement le tort qu’il avait avec vous, et même avec moi. Il ne pouvait oublier qu’il me devait la vie. Mon père, dans la vue d’assurer pour toujours un protecteur à mon frère et à moi, ne lui avait pas laissé ignorer ce que nous avions fait pour lui ; sans doute cette considération, plus encore que mes larmes, l’engagea à ne pas m’abandonner. J’obtins que je resterais avec lui jusqu’au temps que je pourrais entrer dans un couvent.

Nous arrivâmes à Francfort, où je pris les habits de mon sexe : on me fit l’honneur de croire que j’étais sa femme. Cette opinion me flattait trop pour ne pas chercher à l’accréditer. M. de Barbasan, qui ne voyait personne, n’en était point informé. J’avais pris aussi le soin d’empêcher mon père et mon frère de nous joindre à Francfort, sous le prétexte qu’il fallait attendre que nous fussions à Dresde, où je supposais que nous devions fixer notre séjour.

La solitude dans laquelle nous vivions, quelques agréments que l’on trouvait en moi, firent penser que M. de Barbasan était très-amoureux et même jaloux. Ma conduite ne détruisait pas ces soupçons. Je ne le quittais presque jamais. Sa tristesse, qui augmentait tous les jours, lui faisait chercher les promenades les plus solitaires ; ou je l’y accompagnais, ou j’allais l’y