Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/392

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aurait dû me donner de l’inquiétude ; j’aurais pu même m’apercevoir, depuis quelque temps, que mon mari n’était plus le même pour moi ; mais ce que j’avais dans la tête et dans le cœur me dérobait la vue de tout ce qui ne tenait pas à cet objet dominant. Je crus donc ce qu’on vint me dire, que M. d’Hacqueville, sur des nouvelles qu’il avait reçues, avait été obligé de partir sur-le-champ. Comme on m’assurait que je recevrais bientôt des lettres, je les attendis pendant dix ou douze jours : elles ne vinrent point : ce long silence n’était pas naturel ; je ne me dissimulai pas que j’étais en quelque sorte coupable.

Eugénie, à qui j’allai porter cette nouvelle inquiétude, approuva la résolution que j’avais prise, d’aller joindre mon mari sans attendre qu’il m’en eût donné la permission, sans même la lui demander. Je le trouvai dans son lit avec la fièvre : elle me paraissait si médiocre que je n’aurais pas dû en être alarmée ; je le fus cependant beaucoup ; quelque chose me disait que j’avais part à son mal, et la façon dont je fus reçue ne me le confirma que trop. Au lieu de ces empressements auxquels j’étais accoutumée, je ne trouvai qu’un froid méprisant ; à peine pus-je obtenir un regard ; et, se démêlant de mes bras lorsque je voulus l’embrasser : Épargnez-vous, me dit-il, toutes ces contraintes, ou plutôt tous ces artifices ; je ne puis plus y être trompé.

Quoi ! monsieur, m’écriai-je, vous m’accusez d’artifice ? Eh ! par laquelle de mes actions ai-je pu m’attirer un reproche si sensible, si amer ? Ne me demandez point, me dit-il, un éclaircissement inutile et honteux