Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/396

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de peines. Ma fatale curiosité m’a ôté l’illusion qui me rendait heureux. J’ai vu par moi même votre tendresse pour cet enfant. Je n’ai rien ignoré de ce que vous avez fait pour lui : je vous ai soupçonnée. Que sais-je si je ne vous soupçonnerais pas encore ? que sais-je si vous pourriez vous justifier pleinement, et quelle serait la destinée de l’un et de l’autre ? toujours en proie à mon amour et à ma jalousie, je finirais peut-être parce que je crains le plus, par être votre tyran. Adieu, madame, continua-t-il, je sens que ma fin s’approche. Par pitié, ne me montrez point vos larmes ; laissez-moi mourir sans faiblesse.

Il se retourna, en prononçant ces paroles, de l’autre côté de son lit ; et, quelque effort que je fisse, il ne me voulut plus entendre. Sa tête, qui avait été libre jusque alors, s’embarrassa dès la même nuit ; la connaissance ne lui revint plus, et il expira dans mes bras.

Ma douleur était telle, que l’horreur du spectacle ne trouvait rien à y ajouter. Je perdais un mari le plus honnête homme du monde, qui m’avait adorée, à qui je devais toute sorte de reconnaissance, que je regardais comme mon ami, pour qui j’avais la plus tendre amitié ; et c’était moi qui causais sa mort, c’était moi qui lui avais enfoncé un poignard dans le sein.

Il y a des douleurs qui portent avec elles une sorte de douceur ; mais il faut pour cela n’avoir à pleurer que ce qu’on aime, et n’avoir pas à pleurer ses propres fautes. J’étais dans un cas bien différent. Tous mes souvenirs m’accablaient : je ne pouvais supporter la vue de moi-même, et je ne pouvais me résoudre à me