Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/397

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montrer dans le monde : il me semblait que mes aventures étaient écrites sur mon front. Je ne m’occupais que de la perte que j’avais faite. Barbasan même ne me faisait aucune distraction.

Je ne pensai à lui dans les premiers moments que pour m’affermir dans la résolution d’y renoncer pour toujours : je trouvais que je devais ce sacrifice à la mémoire de mon mari. Mais ce n’est pas de la solitude qu’il faut attendre un remède contre l’amour. Ma passion se réveilla insensiblement ; la mélancolie où j’étais plongée y contribua encore. Mes rêves se sentaient de la noirceur de mes idées : Barbasan y était toujours mêlé. J’en fis un où je crus le voir tomber à mes pieds tout couvert de sang ; et, lorsque je voulus lui parler, il ne me répondit que ces mots : Vous vous êtes donnée à un autre.

Quelle impression ce rêve fit-il dans mon cœur ! je crus qu’il m’annonçait la mort de Barbasan, et je crus qu’il était mort plein de ressentiment contre moi. J’allais porter cette nouvelle matière de douleur, peut-être la plus accablante de toutes, dans un bois de haute-futaie, qui faisait ma promenade ordinaire. La solitude et le silence qui y régnaient y répandaient une certaine horreur conforme à l’état de mon âme. Je m’accoutumai insensiblement à y passer les journées presque entières : mes gens m’avaient vainement représenté qu’il était rempli de sangliers ; qu’il pouvait m’y arriver quelque accident. Les exemples qu’on me citait de ceux qui y étaient déjà arrivés ne pouvaient m’inspirer de la crainte. Je trouvais que ces sortes de malheurs n’étaient pas faits pour moi ; et