Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/42

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la plus tendre et de la plus vive passion qu’un cœur puisse ressentir, et tout occupé du dessein de rendre mon père favorable à mon amour.

Cependant, il était informé de tout ce qui s’était passé à Bagnières. Le domestique qu’il avait mis près de moi avait des ordres secrets de veiller sur ma conduite : il n’avait laissé ignorer ni mon amour, ni mon combat contre le chevalier de Saint-Odon. Malheureusement le chevalier était fils d’un ami de mon père. Cette circonstance, et le danger où il était de sa blessure, tournaient encore contre moi. Le domestique qui avait rendu un compte si exact m’avait dit beaucoup plus heureux que je n’étais. Il avait peint madame et mademoiselle de Lussan remplies d’artifice, qui m’avaient connu pour le comte de Comminge, et qui avaient eu dessein de me séduire.

Plein de ces idées, mon père, naturellement emporté, me traita, à mon retour, avec beaucoup de rigueur ; il me reprocha mon amour, comme il m’aurait reproché le plus grand crime. Vous avez donc la lâcheté d’aimer mes ennemis ! me dit-il ; et, sans respect pour ce que vous me devez, et pour ce que vous vous devez à vous-même, vous vous liez avec eux ! que sais-je même si vous n’avez point fait quelque projet plus odieux encore ?

Oui, mon père, lui dis-je, en me jetant à ses pieds, je suis coupable ; mais je le suis malgré moi : dans ce même moment où je vous demande pardon, je sens que rien ne peut arracher de mon cœur cet amour qui vous irrite ; ayez pitié de moi ; j’ose vous le dire, ayez pitié de vous : finissez une querelle qui trouble le repos