Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/46

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passer la nuit. En attendant l’heure du souper, je me promenais dans le grand chemin, quand je vis de loin un équipage qui allait à toute bride, et qui versa très-lourdement à quelques pas de moi.

Le battement de mon cœur m’annonça la part que je devais prendre à cet accident. Je volai à ce carrosse. Deux hommes, qui étaient descendus de cheval, se joignirent à moi pour secourir ceux qui étaient dedans ; on s’attend bien que c’étaient Adélaïde et sa mère ; c’étaient effectivement elles. Adélaïde s’était fort blessée au pied ; il me sembla cependant que le plaisir de me revoir ne lui laissait pas sentir son mal.

Que ce moment eut de charmes pour moi ! après tant de douleurs, après tant d’années, il est présent à mon souvenir. Comme elle ne pouvait marcher, je la pris entre mes bras, elle avait les siens passés autour de mon cou, et une de ses mains touchait à ma bouche. J’étais dans un ravissement qui m’ôtait presque la respiration. Adélaïde s’en aperçut ; sa pudeur en fut alarmée ; elle fit un mouvement pour se dégager de mes bras. Hélas ! qu’elle connaissait peu l’excès de mon amour ! j’étais trop plein de mon bonheur pour penser qu’il y en eût quelqu’un au-delà.

Mettez-moi à terre, me dit-elle d’une voix basse et timide ; je crois que je pourrai marcher. Quoi ! lui répondis-je, vous avez la cruauté de m’envier le seul bien que je goûterai peut-être jamais ? Je serrais tendrement Adélaïde, en prononçant ces paroles ; elle ne dit plus mot, et un faux pas que je fis l’obligea à reprendre sa première attitude.

Le cabaret était si près, que j’y fus bientôt. Je la