Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/56

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se sacrifie pour ma liberté, elle voudra en hâter le moment. Hélas ! comment a-t-elle pu croire que la liberté sans elle fût un bien pour moi ? je retrouverai par-tout cette prison dont elle veut me tirer. Elle n’a jamais connu mon cœur : elle a jugé de moi comme des autres hommes ; voilà ce qui me perd. Je suis encore plus malheureux que je ne croyais, puisque je n’ai pas même la consolation de penser que du moins mon amour était connu.

Je passai la nuit entière à faire de pareilles plaintes. Le jour parut enfin ; je montai à cheval avec mon conducteur : nous avions marché une journée sans nous arrêter un moment, quand j’aperçus ma mère dans le chemin, qui venait de notre côté. Elle me reconnut ; et, après m’avoir montré sa surprise de me trouver là, elle me fit monter dans son carrosse. Je n’osais lui demander le sujet de son voyage : je craignais tout dans la situation où j’étais, et ma crainte n’était que trop bien fondée. Je venais, mon fils, me dit-elle, vous tirer moi-même de prison ; votre père y a consenti. Ah ! m’écriai-je, Adélaïde est mariée ! Ma mère ne me répondit que par son silence. Mon malheur, qui était sans remède, se présenta à moi dans toute son horreur : je tombai dans une espèce de stupidité, et, à force de douleur, il me semblait que je n’en sentais aucune.

Cependant mon corps se ressentit bientôt de l’état de mon esprit. Le frisson me prit, que nous étions encore en carrosse ; ma mère me fit mettre au lit : je fus deux jours sans parler, et sans vouloir prendre aucune nourriture ; la fièvre augmenta, et on commença le troisième à désespérer de ma vie. Ma mère,