Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/63

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espèce d’inquiétude : il venait me voir travailler assez souvent ; il me traitait, malgré la distance qui paraissait être entre lui et moi, avec une familiarité dont j’aurais dû être touché : je ne l’étais cependant point. Ses agréments et son mérite, que je ne pouvais m’empêcher de voir, retenaient ma reconnaissance ; je craignais en lui un rival ; j’apercevais dans toute sa personne une certaine tristesse passionnée qui ressemblait trop à la mienne, pour ne pas venir de la même cause ; et, ce qui acheva de me convaincre, c’est qu’après m’avoir fait plusieurs questions sur ma fortune : Vous êtes amoureux, me dit-il ; la mélancolie où je m’aperçois que vous êtes plongé vient de quelque peine de cœur : dites-le moi ; si je puis quelque chose pour vous, je m’y emploierai avec plaisir : tous les malheureux en général ont droit à ma compassion ; mais il y en a d’une sorte que je plains encore plus que les autres.

Je crois que je remerciai de très-mauvaise grâce dom Gabriel (c’était son nom) des offres qu’il me faisait. Je n’eus cependant pas la force de lui nier que je fusse amoureux ; mais je lui dis que ma fortune était telle, qu’il n’y avait que le temps qui pût y apporter quelque changement. Puisque vous pouvez en attendre quelqu’un, me dit-il, je connais des gens encore plus à plaindre que vous.

Quand je fus seul, je fis mille réflexions sur la conversation que je venais d’avoir ; je conclus que dom Gabriel était amoureux, et qu’il l’était de sa belle-sœur : toutes ses démarches, que j’examinais avec attention, me confirmèrent dans cette opinion. Je le voyais attaché à tous les pas d’Adélaïde, la regarder des mêmes yeux