Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/65

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Qu’avez-vous, me dit-il, que vous est-il arrivé ? Je suis perdu, lui répondis-je : Adélaïde ne m’aime plus. Elle ne m’aime plus ! répétai-je ; est-ce bien possible ? Hélas ! que j’avais tort de me plaindre de ma fortune avant ce cruel moment ! Par combien de peines, par combien de tourments ne racheterais-je pas ce bien que j’ai perdu, ce bien que je préférais à tout, ce bien qui, au milieu des plus grands malheurs, remplissait mon cœur d’une si douce joie !

Je fus encore long-temps à me plaindre, sans que Saint-Laurent pût tirer de moi la cause de mes plaintes ; il sut enfin ce qui m’était arrivé : Je ne vois rien, dit-il, dans tout ce que vous me contez, qui doive vous jeter dans le désespoir où vous êtes ; madame de Benavidés est, sans doute, offensée de la démarche que vous avez faite de venir ici. Elle a voulu vous en punir, en vous marquant de l’indifférence ; que savez-vous même si elle n’a point craint de se trahir, si elle vous eût regardé ? Non, non, lui dis-je, on n’est point si maître de soi, quand on aime ; le cœur agit seul dans un premier mouvement : il faut, ajoutai-je, que je la voye ; il faut que je lui reproche son changement. Hélas ! après ce qu’elle a fait, devait-elle m’ôter la vie d’une manière si cruelle ! que ne me laissait-elle dans cette prison ! j’y étais heureux, puisque je croyais être aimé.

Saint-Laurent, qui craignait que quelqu’un ne me vît dans l’état où j’étais, m’emmena dans la chambre où nous couchions. Je passai la nuit entière à me tourmenter. Je n’avais pas un sentiment qui ne fût aussitôt détruit par un autre : je condamnais mes soupçons ; je les reprenais ; je me trouvais injuste de vouloir