Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/67

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sorti dès le matin, et j’avais entendu Benavidés dans une salle basse, parler avec un de ses fermiers.

J’entrai dans la chambre avec tant de précipitation, qu’Adélaïde ne me vit que quand je fus près d’elle : elle voulut s’échapper aussitôt qu’elle m’aperçut ; mais, la retenant par sa robe : Ne me fuyez pas, lui dis-je, madame ; laissez-moi jouir pour la dernière fois du bonheur de vous voir ; cet instant passé, je ne vous importunerai plus ; j’irai, loin de vous, mourir de douleur des maux que je vous ai causés, et de la perte de votre cœur. Je souhaite que dom Gabriel, plus fortuné que moi… Adélaïde, que la surprise et le trouble avaient jusque-là empêchée de parler, m’arrêta à ces mots, et jetant un regard sur moi : Quoi ! me dit-elle, vous osez me faire des reproches ! vous osez me soupçonner, vous !… Ce seul mot me précipita à ses pieds : Non, ma chère Adélaïde, lui dis-je, non, je n’ai aucun soupçon qui vous offense ; pardonnez un discours que mon cœur n’a point avoué. Je vous pardonne tout, me dit-elle, pourvu que vous partiez tout-à-l’heure, et que vous ne me voyiez jamais. Songez que c’est pour vous que je suis la plus malheureuse personne du monde ; voulez-vous faire croire que je suis la plus criminelle ? Je ferai, lui dis-je, tout ce que vous m’ordonnerez ; mais promettez-moi du moins que vous ne me haïrez pas.

Quoique Adélaïde m’eût dit plusieurs fois de me lever, j’étais resté à ses genoux ; ceux qui aiment savent combien cette attitude a de charmes. J’y étais encore, quand Benavidés ouvrit tout d’un coup la porte de la chambre ; il ne me vit pas plutôt aux genoux de sa femme, que, venant à elle l’épée à la main : Tu mourras, perfide,