Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/88

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sur la cendre, et on allait lui administrer le dernier sacrement, lorsqu’il demanda au père abbé la permission de parler.

Ce que j’ai à dire, mon père, ajouta-t-il, animera d’une nouvelle ferveur ceux qui m’écoutent, pour celui qui par des voies si extraordinaires m’a tiré du profond abyme où j’étais plongé, pour me conduire dans le port du salut.

Il continua ainsi :

Je suis indigne de ce nom de frère dont ces saints religieux m’ont honoré : vous voyez en moi une malheureuse pécheresse qu’un amour profane a conduite dans ces saints lieux. J’aimais et j’étais aimée d’un jeune homme d’une condition égale à la mienne : la haine de nos pères mit obstacle à notre mariage ; je fus même obligée, pour l’intérêt de mon amant, d’en épouser un autre. Je cherchai jusque dans le choix de mon mari à lui donner des preuves de mon fol amour : celui qui ne pouvait m’inspirer que de la haine fut préféré, parce qu’il ne pouvait lui donner de jalousie. Dieu a permis qu’un mariage contracté par des vues si criminelles ait été pour moi une source de malheurs. Mon mari et mon amant se blessèrent à mes yeux ; le chagrin que j’en conçus me rendit malade ; je n’étais pas encore rétablie quand mon mari m’enferma dans une tour de sa maison, et me fit passer pour morte. Je fus deux ans en ce lieu, sans autre consolation que celle que tâchait de me donner celui qui était chargé de m’apporter ma nourriture. Mon mari, non content des maux qu’il me faisait souffrir, avait encore la cruauté d’insulter à ma misère : mais,