Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/89

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que dis-je, ô mon Dieu ! j’ose appeler cruauté l’instrument dont vous vous serviez pour me punir ! Tant d’afflictions ne me firent point ouvrir les yeux sur mes égarements : bien loin de pleurer mes péchés, je ne pleurais que mon amant. La mort de mon mari me mit enfin en liberté. Le même domestique, seul instruit de ma destinée, vint m’ouvrir ma prison, et m’apprit que j’avais passé pour morte dès l’instant qu’on m’avait enfermée. La crainte des discours que mon aventure ferait tenir de moi me fit penser à la retraite ; et, pour achever de m’y déterminer, j’appris qu’on ne savait aucune nouvelle de la seule personne qui pouvait me retenir dans le monde. Je pris un habit d’homme pour sortir avec plus de facilité du château. Le couvent que j’avais choisi, et où j’avais été élevée, n’était qu’à quelques lieues d’ici : j’étais en chemin pour m’y rendre, quand un mouvement inconnu m’obligea d’entrer dans cette église. À peine y étais-je, que je distinguai, parmi ceux qui chantaient les louanges du Seigneur, une voix trop accoutumée à aller jusqu’à mon cœur : je crus être séduite par la force de mon imagination ; je m’approchai, et, malgré le changement que le temps et les austérités avaient apporté sur son visage, je reconnus ce séducteur si cher à mon souvenir. Que devins-je, grand Dieu ! à cette vue ! de quel trouble ne fus-je point agitée ! loin de bénir le Seigneur de l’avoir mis dans la voie sainte, je blasphémai contre lui de me l’avoir ôté. Vous ne punîtes pas mes murmures impies, ô mon Dieu ! et vous vous servîtes de ma propre misère pour m’attirer à vous. Je ne pus m’éloigner d’un lieu qui renfermait ce que j’aimais ; et, pour ne m’en plus