Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/90

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séparer, après avoir congédié mon conducteur, je me présentai à vous, mon père ; vous fûtes trompé par l’empressement que je montrais pour être admise dans votre maison ; vous m’y reçûtes. Quelle était la disposition que j’apportais à vos saints exercices ? un cœur plein de passion, tout occupé de ce qu’il aimait. Dieu qui voulait, en m’abandonnant à moi-même, me donner de plus en plus des raisons de m’humilier un jour devant lui, permettait sans doute ces douceurs empoisonnées que je goûtais à respirer le même air et à être dans le même lieu. Je m’attachais à tous ses pas, je l’aidais dans son travail autant que mes forces pouvaient me le permettre, et je me trouvais dans ces moments payée de tout ce que je souffrais. Mon égarement n’alla pourtant pas jusqu’à me faire connaître : mais quel fut le motif qui m’arrêta ? la crainte de troubler le repos de celui qui m’avait fait perdre le mien ; sans cette crainte, j’aurais peut-être tout tenté pour arracher à Dieu une âme que je croyais qui était toute à lui.

Il y a deux mois que, pour obéir à la règle du saint fondateur qui a voulu, par l’idée continuelle de la mort, sanctifier la vie de ses religieux, il leur fut ordonné à tous de se creuser chacun leur tombeau. Je suivais, comme à l’ordinaire, celui à qui j’étais liée par des chaînes si honteuses : la vue de ce tombeau, l’ardeur avec laquelle il le creusait, me pénétrèrent d’une affliction si vive, qu’il fallut m’éloigner pour laisser couler des larmes qui pouvaient me trahir. Il me semblait, depuis ce moment, que j’allais le perdre ; cette idée ne m’abandonnait plus ; mon attachement en prit