Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 12.djvu/336

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pas que neuf ou dix hommes eussent la hardiesse de l’insulter au milieu de sa cour, il fit signe à ses gens de se retirer. Ceux d’Ojéda lui mirent les fers, se saisirent brusquement de lui, après l’avoir intimidé par la vue de leurs armes, et le placèrent en croupe derrière leur chef, qui, se l’étant fait lier autour du corps, reprit au galop le chemin d’Isabella avec sa proie. La joie de l’amiral fut extrême en se voyant maître du destructeur de son premier établissement, et du seul ennemi dont il redoutât l’audace. Il le tint enchaîné dans sa maison ; mais, loin d’en tirer quelque marque de respect et de soumission, il remarqua qu’il affectait de ne le pas saluer lorsqu’il le voyait paraître, tandis qu’il en usait plus civilement à l’égard d’Ojéda. Colomb voulut savoir de lui-même la raison de cette différence : « C’est, lui répondit Caonabo, que tu n’as pas osé me venir prendre dans ma maison, et que ton officier a plus de cœur que toi. » Un homme si fier parut dangereux jusque dans ses chaînes : on prit le parti de l’envoyer en Espagne, et de l’embarquer malgré lui sur un navire qui était près de faire voile ; mais une tempête, qui ensevelit dans les flots ce bâtiment et plusieurs autres, fit périr le malheureux cacique avec tous ceux qui l’accompagnaient.

On vit bientôt arriver au port d’Isabella Antoine de Torrez, qui était renvoyé avec quatre grands vaisseaux bien fournis de vivres et de munitions, et qui remit à l’amiral des