Page:La Variété, revue littéraire, 1840-1841.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 124 —

et ces deux femmes, d’une condition si différente, s’étaient devinées bientôt. Marguerite avait compris toute l’exquise sensibilité de sa compagne, tout ce que ce regard mélancolique et rêveur cachait de profondes souffrances, et celle-ci avait reconnu sans peine la naïve candeur de Marguerite ; ce cœur simple et aimant, ce doux repos de l’âme paisible, comme les silencieuses harmonies d’une belle nature endormie dans le calme du soir. Bientôt établissant entre elles une douce intimité, l’amitié s’était plue à rapprocher ces deux cœurs comme on unit la violette simple fille des bois, à la rose brillante et parfumée.

Elles furent heureuses alors ces deux âmes de femmes, heureuses même plus tard, quand une chaumière de village devint leur seul abri, et que la compagne de Marguerite eut mis au monde un fils qui n’avait plus de père. Et puis cela finit comme toute histoire des hommes. Un jour, le destin se joua de cette félicité de la terre, bonheur inconnu qui savait encore charmer deux cœurs ; une tombe s’ouvrit, et quand la mort vint fermer les lèvres de ma mère, Marguerite devina ce qu’était la vie. Elle-même, pauvre fille des champs, elle se sentit faillir sous le poids de sa douleur. Elle eût voulu suivre l’humble convoi de son amie, mais son chagrin ne le permit pas. Il fallut renoncer à cette douce consolation, et laisser la terre accomplir son œuvre sans pouvoir verser quelques douces larmes sur le cruel tombeau. Plusieurs mois s’écoulèrent, Marguerite était malade ; elle eût voulu mourir, car que faire ici-bas sans une amie ? Languissante, elle sentait son corps s’incliner vers la terre et son esprit se recueillir à jamais dans le calme du tombeau. Elle l’appelait à elle, quand son œil éteint s’arrêtant sur moi elle crut entendre une douce voix qui disait : Marguerite,