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Le monarque, imposant de grandeur et d’éclat, promenait sur notre savetier cet œil qui plus tard devait foudroyer Racine ; et maître Grégoire, le bonnet de laine à la main, demeurait impassible. Cà, lui dit le roi, tu te mêles donc de peinture, bonhomme ? — Et pourquoi pas, sire, votre siècle est celui des arts, dit-on. Louis XIV sourit, Grégoire était devenu courtisan. — Fort bien, mais tu es un plaisant homme de me reléguer à ta gauche quand tant d’autres occupent la droite ; que veut dire cela ? — Que les autres sont à droite, Sire, et que vous êtes à gauche. — Un jeu de mots ? Ce n’est pas répondre, maître Grégoire ; je te croyais franc, bonhomme. — Sire, si vous voulez, qu’à cela ne tienne ; je changerai les places : M. le vicomte de Turenne et les autres passeront à gauche et vous viendrez à ma droite avec Éméri, feu M. de Mazarin et consorts. — Diable ! dit Louis XIV, qui cette fois goûtait la plaisanterie, l’abbé de Saint-Pierre t’a ma foi, ensorcelé ; tu es un rude homme, Grégoire, et il est plus difficile, je crois, d’être bien placé chez toi qu’au Louvre ; mais écoute, j’aimerais mieux laisser chacun où il est et m’en aller à côté de M. le Curé, car je me doute qu’il est à la place d’honneur ; qu’en dis-tu ? — C’est impossible, Sire. — Et pourquoi ? Le savetier ne répondit pas.

En ce moment parut dans la salle un troisième personnage, petit homme riant et spirituel, portant dans son regard cette haute expression du caractère français, à la fois comique et sérieux, simple et sublime ; cette finesse de coup-d’œil, cette exquise délicatesse de l’ironie qui n’exclut ni la sagesse du penseur, ni la haute perspicacité de l’esprit d’observation. Tout d’abord, son œil scrutateur et malin s’arrêta sur maître Grégoire, et le savetier reconnut sans peine Molière, le fils du tapissier Poquelin, qu’il voyait passer tous les jours